Mon petit labrador des montagnes,
depuis mon lit je peux voir les flammes qui lèchent et dansent derrière la vitre du poêle à bois. J’adore le fait de devoir encore allumer un feu le soir, malgré l’arrivée du printemps. Récemment, j’ai appris à utiliser trois poêles différents. Comme nous, ils ont chacun une personnalité bien spécifique. Nous nous sommes apprivoisés mutuellement, le feu et moi. Et j’ai découvert que l’humeur est un facteur clé lorsqu’on allume un feu : je lui dois ma concentration, ma patience, le rassemblement de toutes les parties de mon cerveau qui, habituellement, refusent de collaborer.
Le dernier mois a été un concentré d’émotions contraires.
Pour être concise : j’ai eu une terrible gastro, j’ai eu un bref accident de voiture, j’ai eu un gros coup de cœur, j’ai changé tous mes plans. Tout cela, en trois semaines à peine. Je me retrouve dans ces moments de vie si particuliers, si frontaliers, que l’avant paraît même avoir une consistance, une masse, un volume ; et que l’après s’annonce d’une déconcertante diversité.
La dernière fois que j’ai écrit, je te parlais de colère, d’enseignements bouddhistes, de rivières qui débordent et de chants tibétains. Ce que je ne savais pas encore, c’est que j’allais boire de l’eau mal filtrée, tomber malade, vomir ce que je n’avais pas vomi depuis 20 ans. Que j’allais repartir du centre bouddhiste un peu soulagée, arriver au Petit Pailler chez Yann et Virginie, me sentir à la maison, sortir de route avec ma voiture. Pleurer. Sourire. Rester.
Préfères-tu croire au hasard ou au destin, petit labrador des montagnes ? Moi, je ne suis toujours pas fixée, alors je crois un peu aux deux. Sache toutefois que mon accident a eu lieu le samedi 29 avril, à l’heure d’une éclipse solaire couplée d’une nouvelle lune en Bélier. Le Soleil, c’est mon astre, mon essence, car je suis Lion ; dans mon thème astral, le Bélier se trouve dans ma maison 7, maison de la relation à l’autre (couple, collaborations, partenariats). Lors d’une éclipse, le Soleil disparaît. Je crois que moi aussi, j’ai disparu l’espace d’un instant. Je me suis retrouvée seule sur une route inconnue, le pneu avant droit complètement déjanté, sans réseau, dans un froid glacial. Sais-tu où j’allais ? Dans un petit village à une demie-heure de là, que je connaissais déjà parce que j’y avais passé le premier week-end en amoureux avec mon ex. Cinq minutes après être partie de la maison, je rage car la ventouse qui tient mon téléphone avec le gps dessus n’arrête pas de tomber. Elle tombe une fois, deux fois, trois fois… La quatrième, c’est la dernière.
Et maintenant, préfères-tu croire au hasard ou au destin, petit labrador des montagnes ? Moi, parfois, j’en veux aux ventouses de nous ramener à la raison.
Le Petit Pailler est un endroit spécial. Il est habité par deux humains, un chien, un chat, quelques grenouilles, trois poules et trois canards (un trouple de canards, plus précisément). Derrière la maison en pierres il y a un mandala de fleurs, un potager, une serre Walipini avec du persil et du chou kale à foison, un poulailler, un verger en devenir, un champ, une caravane, un atelier, une autre petite maison en pierres appelée le Petit Paillou. Plein d’abris et de cabanes autour, deux marres, du bois pour se chauffer. Ce qui caractérise cette micro-ferme, c’est la préciosité. Ici, animaux, humains et végétaux sont précieux. Les gestes ont un sens, les déplacements aussi. On accueille, on prend soin et on fait les choses ensemble. Yann et Virginie écoutent de la musique classique, et les plantes aussi, comme ça elles poussent mieux. Les couettes sont moelleuses et les cocottes fumantes. Le soir on couche les canards comme on couche des enfants qui ne veulent pas dormir. On construit des choses pour l’avenir, on parle au présent et on rigole du passé. Les voisins sont des amis, les chiens nos thérapeutes. Le hameau comme une grande famille, avec ses joies et ses douleurs. Les causses nous soutiennent, le vent nous enlace. Le Larzac tout autour.
J’ai tout de suite aimé ça. J’y suis toujours, alors que j’étais censée partir vers d’autres aventures, d’autres gens et d’autres paysages. On m’a proposé d’habiter dans une maison le temps qu’elle soit vendue, tout l’été. J’ai dit oui.
Je ne sais toujours pas si ma voiture va pouvoir être réparée, car elle est gravement endommagée. Mais même à pieds, la vie est un peu plus belle aujourd’hui ❤️
Depuis quelques semaines, je sens pousser une petite envie d’amour. Bien sûr que c’est le printemps, bien sûr que ça me manque, bien sûr. Mais cette fois-ci, j’aimerais faire les choses différemment. Ne rien faire du tout, même. Ne rien aller chercher, oublier mon goût pour les hommes plus jeunes, oublier le genre de visages qui capturent mon attention. Oublier tous ceux que j’ai aimé avant, dans cette consistance dense du passé. Me laisser toucher par tout ce qui m’aurait laissée indifférente à d’autres époques. Prendre le temps de poser des questions, d’observer les différences, de me rendre là où je n’étais nullement attendue. De flirter sans me déformer, de rester sincère, et d’accepter de ne rien avoir à dire, aussi, parfois. De troquer l’alchimie contre l’apaisement. La passion des hommes, elle m’a ravie et recrachée tant de fois que je lui en veux de m’enflammer si vite, comme si elle voulait vider mon réservoir le plus rapidement possible.
Le feu, ça s’apprivoise.
Fais de beaux rêves, petit labrador des montagnes,
Serena
Lire tes lettres, c'est se glisser sous une de ces couettes moelleuses que tu décris si bien, respirer le fumet d'une tisane ou d'un plat qui mijote, et se remplir les yeux des fleurs et des paysages dans lesquels tu baignes. Please don't stop.
Moi, je viens d'arriver sur Substack, c'est un peu moins poétique que la montagne, mais quel bonheur de te retrouver, toi et tes mots 🤲 Et cerise sur le gâteau, tu parles d'astrologie ;) J'espère que ça va quand même, après ces péripéties...